La vraie question, ce n’est pas celle de la liberté d’expression, c’est celle du respect [di Romain Chapel et Adrien de Tricornot]

12/10/2012 manifestazione studenti to / andreja retsek

Le Monde.fr. 14/01/2015. Etudiants ingénieurs à l’Institut polytechnique des sciences avancées d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Julie Blandin, Rockya Cissé, Arthur Bossebeuf et Guillaume Aumont ont tous participé à une minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Les jeunes qui la contestent? «On peut les comprendre: il y a la liberté d’expression, et chacun peut dire ce qu’il veut», croient-ils savoir. «Si on n’est pas d’accord, on peut aussi le dire, expliquent-ils en chœur. Il ne faut pas faire l’apologie de ces crimes et il faut que chacun respecte l’opinion des autres.».

Quelques jours après les attentats, dont celui de Charlie Hebdo, qui ont fait 17 morts, le sujet reste sensible et beaucoup de ceux qui l’abordent préfèrent rester anonymes. Dès lors que l’on évoque le cas du polémiste Dieudonné et la contestation de la minute de silence.

A la sortie du lycée Buffon, boulevard Pasteur à Paris, un élève de 1re appelle à une distinction nette: «Les caricatures, c’est les journalistes, c’est pour ça qu’on les a “butés”: les dessinateurs qui sont morts, ils se moquaient. Dieudonné, lui, il fait l’apologie du terrorisme, il le glorifie, ça, ce n’est pas normal.» Mais les débats au lycée lassent d’autres élèves qui, en réaction, lancent à propos de Dieudonné et Charlie Hebdo: «C’est la même chose, c’est pareil». «On en a marre. Je suis Charlie, la manif, tout ça, ça ne va rien changer», protestent des lycéennes. «Les caricatures de Charlie étaient poussées, certes, mais il n’y avait jamais d’incitation à la haine. Ce n’est pas comme Dieudonné, qui revendique encore une fois sa maladie raciste en soutenant par ses propos les acteurs du tueur de l’hypermarché casher», affirme au contraire une élève de 2nde de Gabriel-Fauré, dans le 13e arrondissement de Paris.

Lire les témoignages d’enseignants : Dans les collèges et lycées, le soutien à « Charlie Hebdo » loin de faire l’unanimité « Toucher à quelque chose de sacré, c’est blessant ».
Même si elle reconnaît que les dessins de Charlie Hebdo ont pu blesser : «Moi, je ne suis pas musulmane, alors je peux dire “Je suis Charlie”. Mais les musulmans de mon lycée, qui se sont sentis offensés, même s’ils sont choqués par les attentats, ils préfèrent dire: “Je suis Ahmed”. D’ailleurs, je les comprends.».

Coiffée d’un voile noir, une étudiante de première année en biologie à l’université Paris- Diderot explique aussi qu’elle a manifesté dimanche, contre « la terreur et les tueries » mais sans pancarte «Je suis Charlie» : «On réagit tous à ce climat de terreur et aux fusillades car on est tous concernés, on est tous français. Personnellement, je ne cautionne pas les caricatures, mais ça ne justifie bien sûr pas de tuer. ». «Il faudrait réguler la liberté d’expression, qui n’est pas absolue. Toucher à quelque chose de sacré, c’est blessant», dit-elle.

A la cafétéria de l’université Paris-Diderot, un groupe de trois étudiants en master de sociologie et philosophie politique se retrouve pour la première fois depuis les événements, préparation des partiels oblige. Le débriefing est très critique: «Moi, je ne suis pas allé à la marche, dit l’un d’entre eux. Je sentais beaucoup d’éléments qui allaient m’énerver comme le mot d’ordre “Je suis Charlie”. Je ne voulais pas participer à une injonction collective. Soit on est dans l’union nationale, soit on est dans le complotisme, critique-t-il. Je condamne les attentats mais j’ai peur d’un “Patriot Act” qui suspende nos libertés. Moi, je n’aime pas Charlie: mes parents aimaient Hara-Kiri et ça leur a fait un coup mais moi, par exemple, je ne me reconnais pas du tout dans la ligne du Charlie Hebdo de Philippe Val et Caroline Fourest».

Le jour du rassemblement, une de ses camarades dit avoir été prise d’un gros sentiment de culpabilité: «D’un côté, il y avait la dimension défense des valeurs républicaines, auxquelles je crois à mort, et en même temps, la France n’a pas une politique très claire vis-à-vis de l’étranger, souligne-t-elle. Une marche ne réglera pas tous les problèmes, de même qu’elle n’occulte pas la responsabilité des Etats occidentaux dans la montée des extrémismes.».

Finalement, cette jeune fille blonde aux lunettes multicolores a été défiler pour défendre la liberté d’expression. Et laisser de côté la présence de chefs d’Etat opposés à la liberté d’expression, de dictateurs. Même si elle a regretté leur présence. «Moi, j’y suis allé pour sentir le mouvement collectif mais, intellectuellement, je pense qu’il y a trop d’indignation sélective, de hiérarchisation dans la valeur des vies : cinq journalistes français mobilisent, pas des millions de Congolais ou les victimes des guerres contre le terrorisme en Irak, en Afghanistan ou au Mali», ajoute une autre étudiante.

Lire notre décryptage: «Charlie», Dieudonné, réseaux sociaux… la foire aux questions de la liberté d’expression. La vraie question, celle du respect. A l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Sophia, une étudiante géorgienne, affirme ne pas comprendre la différence entre les propos de Dieudonné et les caricatures des journalistes qui ont été tués, qui sont pour elles « des marques d’irrespect ».

«Evidemment, je suis contre le terrorisme, donc contre Dieudonné, mais je ne suis pas davantage en faveur de ces caricatures. En effet, leurs auteurs, à mon avis, ne respectaient pas les habitants de la France, et notamment ses habitants musulmans qui composent une partie importante de la population, insiste-t-elle. C’est pareil pour Dieudonné : il ne respecte ni les juifs ni les catholiques. Aucun principe supérieur ne peut justifier tant d’irrespect. La vraie question que pose toute cette histoire, ce n’est pas celle de la liberté d’expression, c’est celle du respect.».

Provocation, satire… Pour cette étudiante à l’Institut international de communication de Paris, il existe bien une « énorme » différence : «J’aimais bien Dieudonné, il me faisait rire, mais là, c’est du foutage de gueule. Alors que la France est en deuil, il ne trouve qu’une chose à faire : rajouter de l’huile sur le feu [en disant se sentir « Charlie Coulibaly » sur son profil Facebook juste après le rassemblement]. Ce n’est pas nécessaire. Il y a une nuance dans la liberté d’expression que Dieudonné ne saisit plus. Je dois avouer n’avoir jamais été une grande fan de Charlie Hebdo. Cela ne m’a pas pour autant empêcher d’aller manifester, mercredi et dimanche. Dire que l’on se sent à moitié terroriste comme l’a fait Dieudonné, alors même que la peur des attentats rapproche les Français, ce n’est même plus de la provocation. C’est dire non à l’unité nationale qui cherche à se former. C’est refuser la citoyenneté. C’est un geste éminemment critiquable… »

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/education/article/2015/01/14/la-vraie-question-ce-n-est-pas-celle-de-la-liberte-d-expression-c-est-celle-du-respect_4556183_1473685.html#c8M48rz3EJj7I2Dg.99

 

One Comment

  1. fra

    La vraie question que pose toute cette histoire, ce n’est pas celle de la liberté d’expression, c’est celle du respect.
    Il rispetto dovuto verso tutti i cittadini di qualsiasi religione, opinione, lingua, livello sociale, sesso… , quindi anche a quelli di religione musulmana.
    Da noi è stabilito dall’art. 3 della costituzione, che non sembra consentire lo sputo in faccia ai musulmani da parte di Charlie.
    Ma perché dirlo solo in francese?

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